« Une société vraiment libre peut accepter une grande diversité de croyances, de goûts, de visées, de coutumes et de normes de conduite. »[1] le juge Dickson.
Qu’arrive-t-il lorsque l’État décide de promouvoir cette diversité à l’école malgré l’opposition de certains parents? La Cour suprême a partiellement répondu à cette question dans son arrêt SL c Commission scolaire des Chênes.[2] Pour ceux et celles qui ne sont pas familiers avec cette affaire, il s’agit d’une famille catholique du Québec qui a tenté de soustraire ses enfants du cours d’éthique et cultures religieuses rendu obligatoire en 2008 par le Ministère de l’éducation.[3] Ce cours a pour but de laïciser le système d’éducation en remplaçant les anciens cours sur la religion catholique, sur la religion protestante et sur la morale par un seul cours portant sur les religions du monde et sur l’éthique. Le cours a donc pour but de mettre fin à un enseignement religieux chrétien ne correspondant plus à notre société pluriconfessionnelle et laïque.
Contexte
Le couple catholique, dont l’identité est protégée par une ordonnance de non-publication, identifié par SL, a fait une demande à l’école publique que fréquentaient leurs enfants d’exempter ces derniers du cours d’éthique et cultures religieuses en vertu de l’article 222 deuxième alinéa de la Loi sur l’instruction publique.[4] Cet article prévoit que pour éviter un préjudice grave à un élève, la commission scolaire peut, sur demande motivée des parents d’un élève, l’exempter de l’application d’une disposition du régime pédagogique. Le principal préjudice grave invoqué par SL est d’entraver leur capacité de transmettre leur foi à leurs enfants. SL invoquait aussi que le cours rendrait les enfants confus en les exposant à des concepts éthiques et religieux différent des leurs. L’école rejeta la demande et SL demanda à la Commission scolaire de réviser la décision. La Commission scolaire confirma la décision de l’école. Le couple fit donc une demande de contrôle judiciaire à la Cour supérieure du Québec en invoquant que la décision de la commission scolaire brimait leur liberté de religion prévue aux articles 3 de la Charte québécoise[5] et 2 a) de la Charte Canadienne.[6] La demande fut rejetée en première instance[7] et, par la suite, à la Cour d’appel du Québec.[8] Finalement, l’appel devant la Cour suprême fut rejeté à l’unanimité sous la plume de la juge Deschamps (les juges Lebel et Fish ayant écrit des motifs concordants).
La neutralité et l’instruction publique
L’arrêt est un bon rappel de la place qu’occupe la religion dans notre société. Notre société, pour plusieurs raisons politiques et socio-culturels, a décidé d’être laïque. L’État tente donc d’être neutre en ce qui concerne les religions. La juge Deschamps offre d’ailleurs une définition de la neutralité :
« … suivant une approche réaliste et non absolutiste, la neutralité de l’État est assurée lorsque celui-ci ne favorise ni ne défavorise aucune conviction religieuse; en d’autres termes, lorsqu’il respecte toutes les positions à l’égard de la religion, y compris celle de n’en avoir aucune, tout en prenant en considération les droits constitutionnels concurrents des personnes affectées. »[9]
Pour y arriver les différents gouvernements ont adopté plusieurs mesures dont le cours d’éthique et cultures religieuses. C’est un choix, peut-être imparfait comme le sont souvent les choix politiques, qui respecte les engagements de notre État et cela ne devrait surprendre personne. La Cour a d’ailleurs noté le but légitime de ce choix.[10] Il aurait peut-être été préférable d’éviter tous cours impliquant les religions, mais je dois avouer qu’au moins ce cours donne la chance aux jeunes élèves québécois de se familiariser avec les religions du monde (religion qui peut être celle de son voisin de classe).
Je ne peux pas témoigner pour tous les cours, mais lorsque j’étais en quatrième et cinquième secondaire, mon école avait déjà mis en oeuvre la réforme avant qu’elle devienne obligatoire. Les deux cours d’éthique et cultures religieuses que j’ai suivis furent fort intéressants et ont toujours été neutre et absent d’endoctrinement (SL affirmait que l’État québécois tentait d’endoctriner les élèves dans une vision relativiste des religions). Non seulement je ne crois pas que le cours viole la liberté de religion, je crois qu’il la promeut en offrant plus de perspectives aux élèves qui pourront donc faire un choix plus éclairé au niveau de la religion. Il promeut aussi simplement la vie en société pluriconfessionnelle et pourrait éviter la propagation de certains préjugés et la discorde sociale.
Petit rappel sur la liberté de religions : L’entrave
Il est important de comprendre ce qu’est la liberté de religion telle que protégée par les Chartes. La liberté de religion couvre toutes les religions, qu’elles soient officielles ou non.[11] Elle ne requiert de prouver qu’une croyance sincère (ce qui inclut l’absence de croyance).[12] Dans l’affaire SL, ce point n’est évidemment pas contesté. Ensuite, il faut prouver qu’une loi ou un acte gouvernemental viole le droit de façon plus que négligeable.[13] Pour comprendre ce qu’est une violation, il faut regarder plus en détail l’étendu de la protection. La liberté de religion est une … liberté. Ça peut paraître évident, mais on oublie souvent que ce concept signifie que l’individu est libre de pratiquer et d’enseigner sa religion sans interférence non-justifiée dans une société libre et démocratique.[14] Cette liberté ne crée aucune obligation de la part de l’État de promouvoir les religions, de mettre en place des services pour les religions ou toutes autres obligations positives. C’est une barrière contre l’ingérence de l’État. Elle protège contre l’intervention injustifiée de l’État dans la vie religieuse des gens. Par intervention injustifiée on parle de favoriser une religion (comme le christianisme) au détriment des autres au niveau de l’État (comme imposer des cours sur le catholicisme), d’imposer des mesures basées sur une religion comme les anciens congés obligatoire le dimanche (jour du seigneur), d’interdire des pratiques religieuses dans la sphère privée, etc.[15] La liberté de religion ne donne absolument pas le droit de discriminer, d’obtenir des privilèges de la part du gouvernement, ou d’obtenir des services religieux quelconques de la part de l’État.
En résumé, la liberté de religion est une barrière contre les excès de l’État particulièrement en ce qui a trait aux ingérences dans la vie privée. La Charte québécoise apporte aussi une protection limitée dans le domaine du privé comme la discrimination religieuse par des employeurs ou des propriétaires.[16] La demande de SL était donc vouée à l’échec car elle était basée, selon moi, sur une conception erronée de la liberté de religion. Le cours d’éthique et culture religieuse n’avait et n’a aucun n’impact sur la liberté des enfants de SL d’être catholique et de suivre un enseignement religieux en dehors des écoles publiques. Le cours n’impose pas une religion sur les élèves. Il offre simplement une vue d’ensemble des religions du monde et porte à l’ouverture d’esprit (c’est pour cela que le cours fut approuvé par l’Assemblée des évêques du Québec, d’ailleurs l’Église catholique recommande à ses fidèles de s’informer au sujet des autres religions[17]). C’est pourquoi toutes les cours saisies ont rejeté la position de SL : les parties ont été incapables de prouver que le cours brimait leur liberté de religion.[18]
À ce sujet la Cour indique aux paragraphes 40 et 41 que :
« Les parents qui le désirent sont libres de transmettre à leurs enfants leurs croyances personnelles. Cependant, l’exposition précoce des enfants à des réalités autres que celles qu’ils vivent dans leur environnement familial immédiat constitue un fait de la vie en société. Suggérer que le fait même d’exposer des enfants à différents faits religieux porte atteinte à la liberté de religion de ceux-ci ou de leurs parents revient à rejeter la réalité multiculturelle de la société canadienne et méconnaître les obligations de l’État québécois en matière d’éducation publique. Bien qu’une telle exposition puisse être source de frictions, elle ne constitue pas en soi une atteinte à l’al. 2a) de la Charte canadienne et à l’art. 3 de la Charte québécoise.
Les appelants n’ont pas fait la preuve que le programme [d’éthique et cultures religieuses] portait atteinte à leur liberté de religion. Par conséquent, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en concluant que le refus de la Commission scolaire d’exempter leurs enfants du cours [d’éthique et cultures religieuses] ne contrevenait pas à leur droit constitutionnel. »
Constat
L’arrêt SL est un excellent rappel que dans une société libre, démocratique et laïque la liberté religion ne confère ni droit, ni privilège autre que le fait de pouvoir pratiquer sa religion en paix. Je crois qu’il faut se mettre en garde contre certains préceptes qui tentent de donner plus d’importance que nécessaire à la liberté de religion (ceci est aussi applicable à la liberté d’expression) pour légitimer certaines conduites que l’on jugerait normalement inacceptables, telle la propagande haineuse.[19] La liberté de religion n’est pas un passe-droit.
Il faut cependant rester vigilant, car même si les cours ont jusqu’à présent réussi à balancer la liberté de religion avec divers impératifs sociaux, les motifs concordants des juges Lebel et Fish nous indique que certains juges sont encore prêts à accorder plus d’importance à la liberté de religion qu’elle n’en mérite, selon moi. Ces motifs indiquent qu’un cours du genre éthique et cultures religieuses pourraient dans certaines circonstances brimer la liberté de religion.[20] Même si on accepte la possibilité de que le cours puisse brimer la liberté de religion en n’offrant pas un portrait adéquat de la religion d’un hypothétique détenteur de droit, cette supposée violation peut facilement être remédiée par les parents ou une figure religieuse (Iman, Curé, Rabbin, etc). Peut-être que certaines personnes ont de la difficulté à comprendre ou à accepter que notre société n’est plus dominée par le christianisme (du moins en théorie)?[21] Cela ne change cependant pas le fait qu’elle est laïque et neutre, et donc probablement plus respectueuse de la liberté de religion de ses membres.
Si des parents veulent priver leurs enfants d’une éducation axée sur l’ouverture, c’est présentement leur droit. Qu’ils envoient leurs enfants à l’école privée ou qu’ils les éduquent eux-mêmes. La société ne devrait pas commencer à faire des exceptions en éducation (à moins de réellement rencontrer les critères de l’article 222 de la Loi sur l’instruction publique). Ceci ne mènerait qu’à une spirale de demandes sans fin qui n’accomplirait quant à moi rien de bon sinon contrer la mission d’instruction publique de l’État. Notre société est laïque et je suis heureux de voir que les cours sont prêtent à défendre ce point contre ce qui pourrait être des abus de droit. Moins l’État se préoccupe d’affaire religieuse, mieux la société s’en tirera.
[1] R c Big M Drug Mart Ltd, [1985] 1 RCS 295 au para 94.
[2] SL c Commission scolaire des Chênes, 2012 CSC 7. Voir aussi Lisa-Maire Gervais, La Cour suprême déboute les parents, Le Devoir, 18 février 2012.
[3] Loi modifiant diverses dispositions législatives dans le secteur de l’éducation concernant la confessionnalité, LQ 2000, ch 24; et Loi modifiant diverses dispositions législatives de nature confessionnelle dans le domaine de l’éducation, LQ 2005, ch 20.
[4] Loi sur l’instruction publique, LRQ, c I-13.3.
[5] Charte des droits et libertés de la personne, LRQ, c C-12.
[6] Charte canadienne des droits et liberté, constituant la partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982 (R-U), constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.
[7] SL c Commission scolaire des Chênes, 2009 QCCS 3875.
[8] SL c Commission scolaire des Chênes, 2010 QCCA 346.
[9] SL c Commission scolaire des Chênes, supra note 2 au para 32.
[10] SL c Commission scolaire des Chênes, ibid au para 37.
[11] Syndicat Northcrest c Amselem, 2004 CSC 47 au para 43.
[12] Big M Drug Mart, supra note 1 au para 123; et Alberta c Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37 au para 32.
[13] Syndicat Northcrest, supra note 11 au paras 58-59; et R c Edwards Books and Art Ltd, [1986] 2 RCS 713 au para 97.
[14] Big M Drug Mart, ibid au para 95; Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c Lafontaine (Village), 2004 CSC 48 aux paras 64-65.
[15] Big M Drug Mart, ibid au para 123; Edwards Books and Art, supra note 13 au para 97; et Syndicat Northcrest, supra note 11 au para 103.
[16] Syndicat Northcrest, supra note 11.
[17] SL c Commission scolaire des Chênes, supra note 7 au paras 56-63.
[18] Alberta c Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37.
[19] Voir R c Keegstra, [1990] 3 RCS 697; et Canada (Commission des droits de la personne) c Taylor, [1990] 3 RCS 892 en général; et Owens v Saskatchewan (Human Rights Commission), 2006 SKCA 41 au paras 54-57 plus spécifiquement.
[20] Voir particulièrement SL c Commission scolaire des Chênes, supra note 2 au para 58.
[21] Voir Simoneau c Tremblay, 2011 QCTDP 1.
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